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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

retira bientôt en fermant sur lui la porte de l’escalier. Mariette et Charles demeuraient muets, immobiles. Les bruits du dehors avaient cessé, on n’entendait plus dans cette salle si bruyante une heure avant, que le tintement monotone de la vieille horloge. Mariette se rapprocha du jeune homme avec une sorte d’inquiétude. Absorbé dans ses réflexions, Charles Gruyn ne la voyait pas, il comptait alors machinalement les pièces d’or que son père lui avait données la veille.

— Riche ! murmurait-il, c’est vrai ! je le suis je le serai ! Ces seigneurs ont raison de rechercher la richesse ! N’est-ce donc pas elle qui nous ouvre les portes dorées de l’avenir de la vie ! La vie est un enjeu, et rien de plus, jouons donc sans nous occuper de la galanterie, jouons et frayons avec tout ce qui joue et brille en France, qui sait ? cette passion absorbera peut-être celle qui me brûle, jouons, oh ! jouons !

Et Charles Gruyn avait tiré déjà un cornet de sa poche avec des dés, il invoquait le hasard, bien qu’il fût seul, il le provoquait, il le raillait.

Mariette vint résolument se placer en face de lui…

Jamais peut-être plus séduisant visage de jeune fille n’avait tenté le pinceau d’un peintre, elle était belle de ses larmes, de son amour et de sa douleur. Un étrange sourire éclairait alors son naïf et frais visage, on eût dit de l’une de ces apparitions mystiques dont l’auréole éblouit.

— Jouez, c’est cela, dit-elle au jeune homme. Votre cœur, votre existence, votre avenir, mais, Charles, je suis aussi de moitié dans votre jeu ! Pensez-vous donc que je renonce à vous d’un seul coup ? Non, je saurai lutter, je saurai souffrir, je suis jeune. Vous aimez, eh bien, libre à vous, moi j’aime aussi, seulement je n’aime pas comme vous. Ce que vous aimez, Charles, je vais vous le dire, vous aimez l’éclat, la fortune, l’ambition. Vous voulez régner, vous voulez donner un joug. Moi, je veux, au contraire, écarter de vous tout péril, je n’aspire point à de frivoles honneurs, je veux ne vous aimer que pour vous. Vous rap-