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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

Une chanson de toi, et je suis heureux, un baiser de toi, et je t’aime.

En parlant ainsi, le jeune homme était convaincu ; la vue de cette belle et chagrine enfant rallumait en son âme un feu assoupi. Mariette pencha vers lui les longues boucles de sa chevelure ; le front de Charles en fut effleuré, sa main pressa cette main émue et tremblante. En ce moment-là, Charles ne pensait plus qu’à l’orpheline ; il interrogeait son regard chaste et limpide. Pour elle, toute sa force menaçait de la quitter ; elle s’appuya sur le rebord de la table. Charles lui parut beau de cette beauté qui fait la grâce et la vie, tant la passion vraie double l’éloquence des yeux, du sourire et de la voix. Mariette le crut ; Charles se croyait lui-même. Quand elle se dégagea de sa douce et tendre étreinte, le serment qu’elle formulait au fond de son cœur errait déjà sur ses lèvres, elle sortit joyeuse et rassurée.

— Pourquoi veiller ici ? avait-elle demandé à Charles.

— Parce que demain, je dois m’enquérir de bonne heure de ce pauvre diable que les sbires du cardinal ont ramassé. Je dormirai aussi bien dans le grand fauteuil de maître Philippe que dans mon lit.

Mais les amoureux ne dorment pas, et Charles Gruyn comptait vainement sur le sommeil… La tourmente d’idées à laquelle il était alors en proie devait contrarier son repos ; il ouvrit la fenêtre du cabaret pour rafraîchir son front allourdi…

— Oui, se disait-il, en considérant l’enseigne de ce lieu avec un soupir, mon père et Mariette ont raison, je dois renoncer à ce rêve, à cette folie ! Que suis-je, après tout ? Le fils de maître Gruyn le cabaretier ! Quelle femme m’aimera, si ce n’est la pauvre Mariette ?

Comme il se promenait encore à pas agités dans la vaste salle, un homme enjamba tout d’un coup la fenêtre du cabaret et se dressa rapidement devant lui…