Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome2.djvu/120

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
113
LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

fruit de ses courses périlleuses. Cet herbier faisait sa vie. Elle avait placé quelques lignes de souvenir au bas de chaque fleur cueillie sur la verte lisière du bois, dans le creux des roches, à la margelle des puits. C’était un vrai livre où elle se retrouvait elle-même à chaque page. Dans son ardeur d’enfant, elle avait oublié, pour cueillir ces fleurs, la faim et la soif, le soleil brûlant sur ses beaux cheveux, les ronces parasites, déchirant ses jolis pieds. Seulement, chacune de ces plantes, elle les avait baptisées du nom de l’un des captifs. De la sorte, il devenait facile à l’aimable fille de se rappeler chaque hôte malheureux de Pignerol.

Comment le nom de cette prison sinistre et celui de Paquette se trouvaient-ils liés ? Par quelle fatale circonstance s’était-elle vue de bonne heure renfermée entre ces quatre murailles, elle, cette jeune fille que les prisonniers nommaient tous la fée ? C’est ce que Paquette savait seule, mais aussi c’est ce dont Paquette eût évité de parler.

Tour à tour elle avait quitté, puis revu cette prison, où quelque être chéri devait sans doute l’occuper, à voir les larmes qui la surprenaient parfois quand il était question de transférer en un autre lieu l’un des captifs.

Et cependant Paquette était libre au milieu d’eux, nul arrêt d’écrou ne la concernait, elle pouvait à son choix, quand elle était petite, dénicher les oiseaux et les fougères sur les vieux murs, ou cueillir la menthe flottante sur les eaux. Élevée à l’ombre d’une prison, elle avait appris à plaindre tous les infortunés qu’elle contenait, presque tous expiant, comme Fouquet ou Lauzun, le malheur d’avoir réussi. C’était, il faut bien le dire, sur ces deux derniers que s’était portée de bonne heure sa vive et mélancolique sympathie. On l’avait vue souvent le front en sueur, et sa robe poudreuse, accourir au guichet du surintendant pour lui rapporter un simple myosotis, une fleur des champs qui arrachait au prisonnier de Colbert un cri de joie. Elle avait pour lui de ces paroles tendres qui ravivent l’espoir