Page:Beauvoir - Les mystères de l’île Saint-Louis, tome2.djvu/192

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
185
LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

La comtesse s’assit, après avoir déposé sa mante et son livre d’Heures sur un fauteuil.

Madame de Lauzun était régulièrement belle. D’un caractère ferme et droit, elle avait opposé de bonne heure une résistance entière aux passions déréglées du comte ; l’ingratitude de ce fils pour une princesse à laquelle il devait tant, comblait sa désolation. Tour à tour elle l’avait vu entre la faveur et la disgrâce, sans que l’une ou l’autre pussent le changer, sans que, malgré ses exhortations, Lauzun consentît à apporter dans sa vie la moindre réforme. C’était à grand-peine qu’il se décidait à passer chez elle trois heures par semaine ; encore tout ce temps-là parlait-il de chasse, de soupers et de paris. Madame de Launm, née calviniste, avait cependant donné à son fils un assez bel exemple de soumission au roi dans sa personne, elle s’était convertie[1]. Ses deux filles, également protestantes, partagèrent son abjuration elles entrèrent sur-le-champ au couvent de Notre-Dame de Saintes et y professèrent. À dater de ce jour madame de Lauzun s’était retirée dans son hôtel, visitant fort rarement ses amis. Il ne fallait pas moins que le péril de son fils pour l’en arracher.

— Je sors de chez le roi, dit-elle à Lauzun d’une voix qui marquait son trouble. Il sait heure par heure ce que vous avez fait jusqu’ici ; moi, je ne le savais pas. Vous avez trouvé moyen de combler la mesure, monsieur ; le roi regrette sa clémence. Vos affaires à la cour sont ruinées ; vous continuez des comédies scandaleuses.

— Que voulez-vous dire, madame ? demanda le comte d’un air étonné, de quelle comédie m’accuse-t-on à Versailles ?

  1. Les premières tentatives de conversion avaient été faites alors que madame de Lauzun habitait, durant la prison de son fils, son hôtel du faubourg Saint-Germain. Ce furent le père Nicolas Feuillet, Mascaron, alors évêque d’Agen, et le père de Lachaise, qui travaillèrent à ce changement de la comtesse.