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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

La morte s’était levée et le regardait avec un sourire bizarre. Sous ses brunes paupières brillait un feu si perçant qu’Henri se vit forcé de baisser les yeux devant elle. La morte avait une robe différente de celle qu’elle portait tout à l’heure sous son cercueil de verre ; une autre parure ornait ses cheveux ; elle s’avança vers Henri, qui recula.

— Ne me reconnais-tu pas ? semblait-elle lui dire avec bonté ; je n’ai pas toujours dormi sous la terre froide. Mon haleine tendre n’a point réchauffé ton berceau, cela est vrai ; mais je t’ai porté neuf mois dans mon sein, j’ai pleuré, gémi, enduré mille tortures avant que tu vinsses au monde. Quand tu y es venu, moi je m’en suis allée j’avais accompli ma tâche. Tu m’as vue, pourtant, tu m’as vue, mon pauvre Henri, car Dieu permet toujours que les orphelins voient leur mère ; tu m’as vue d’abord un soir que, jouant avec tes petits camarades, tu étais tombé dans un étang où tu allais te noyer ; puis, une autre fois à Messine, quand tu combattais sur ton vaisseau et qu’un boulet frappa en pleine poitrine un mousse à côté de toi. Tu te rappelles bien ce que je te dis là ; j’étais vêtue comme tu me vois ; je laissai, en m’évaporant dans l’air, une longue traînée blanche. En un mot, Henri, je suis ta mère, ta mère qui t’eût bien aimé ! Que viens-tu donc faire ici, toi que je n’ai pas vu depuis tant de jours et tant de nuits ? Tu regardes ma main, tu veux me prendre cet anneau ! Henri, c’est un sacrilège Cet anneau est bien à moi !

Et la figure crispée de la morte prit une telle expression que Henri sentit ses genoux ployer ; il frémit, il se signa.

— Ma mère ! ma mère ! balbutia-t-il avec angoisse. Ses membres étaient brisés, il tomba sur le parquet.

La terreur du jeune homme venait d’une seule chose : c’était le portrait de sa mère qu’il avait fixé. Ce portrait, bien connu de lui, gisait, au milieu d’autres cadres dispersés par les gens de justice dans le cabinet. Toutefois, en comparant ces deux figures, celle de la morte et celle du