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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

manquerait pas de la conter. En proie au dépit, à la colère, Lauzun ne pouvait balancer ; il lui fallait ou s’avouer vaincu devant Riom, ou prendre sa revanche par une action d’éclat.

Le comte ressemblait alors à un général désappointé, qui lance son cheval à corps perdu au milieu d’une bataille.

Il ne savait pas plus que Riom ce qui adviendrait.

Tout ce qu’il savait, c’est que l’enlèvement de mademoiselle de Retz constituait pour lui une de ces victoires qui effacent tout. Gravelines, Courtray, le passage du Rhin n’étaient rien près de cela.

La route d’Orléans une fois prise, Lauzun sentit renaître ses esprits et sa gaieté. Riom mettait le nez à chaque seconde à la portière, espérant voir le carrosse après lequel ils couraient, mais rien ne se dessinait à l’horizon.

— Le carrosse est bleu, dit le comte, et la lettre m’indique que mademoiselle de Retz voyage sans laquais. Ils l’attendent à la première couchée, car ils ont pris les devants de ce matin.

— Et nulle autre femme n’accompagne la belle enfant ? demanda Riom, qui voulait à toute force entrer pour quelque chose dans le siège.

— Si fait, il y a madame de Pontchartrain.

— Grand merci, on la dit laide.

— Riom, mon ami, ne trouves-tu pas que nous sommes deux grands sots ?

— Pourquoi cela ?

— Parce qu’en vérité nous nous donnons un mal extrême à courir les champs, tandis que Barailles nous avait fait un dîner… oh ! mais un dîner que Sillery mettrait au-dessus de ceux de Vatel. C’est étonnant, je commence à avoir faim.

— Souvenez-vous, mon oncle, qu’un général d’armée ne doit pas manger, à moins que ce ne soit sur le pouce et à la tranchée.