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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

lutter ainsi obstinément avec moi ? Sait-il que d’une seule étreinte je puis le tuer, et qu’il n’aurait pas si bon marché de moi en champ clos ! Grâce à ce misérable, me voici devenu la risée de la cour et de la ville. Oh ! mais c’est indigne, conspirer ainsi contre moi sans nuls motifs ; épier mes moindres démarches, et se cacher, n’est-ce pas le fait d’un lâche ? Oui, continua-t-il dans l’exaltation de sa fureur et en frappant du poing les panneaux du boudoir où il était, cet homme est un lâche, c’est moi, moi, Lauzun, qui le lui crie. Si c’était seulement un noble adversaire, il viendrait, il se montrerait, mais il ne sait qu’une chose, se faire le laquais des femmes. C’est un lâche, un lâche !

Et la voix du comte s’éteignait dans son gosier, de larges gouttes de sueur mouillaient son front ; il laissa retomber ses mains meurtries sur le marbre de la cheminée. Son regard s’était attaché vaguement à la glace, il poussa tout d’un coup un cri de surprise.

Un homme, le front découvert, l’œil altier, flamboyant, venait de paraître au milieu même du boudoir, il se tint debout fièrement devant Lauzun.

— Vous m’avez appelé, dit-il au comte, je suis prêt. Aussi bien que moi, monsieur de Lauzun, vous devez connaître la valeur d’une insulte, et celle-ci vaut du sang. Toutefois, avant de vider notre querelle, souffrez que je vous entretienne quelques minutes.

Le comte, éperdu, glacé, regardait encore ce mystérieux personnage, quand celui-ci fit glisser rapidement un châssis de la muraille, et prenant lui-même un flambeau devant Lauzun, lui enjoignit de le suivre.

Le comte obéit machinalement à l’inconnu.

Tous deux descendirent les marches d’un escalier dérobé que Lauzun ne soupçonnait pas et dans lequel un seul homme pouvait passer. Le vent menaçait à chaque instant d’éteindre la lumière que portait le guide du comte, et ce vent humide paraissait venir d’une sortie souterraine. Un long corridor se présenta bientôt devant eux ; il aboutissait