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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

plus rien pour moi, on m’en juge indigne ; je dois courber ma tête sous l’arrêt de Sa Majesté. À vous de me remplacer, Cavoie, Grammont, La Feuillade ! à vous de fouler d’un pied joyeux les pelouses royales où nous sourîmes tant de fois ensemble aux contes faits par Hamilton, où nous admirions là beauté de La Vallière ! La Seine, continua Lauzun en jetant à madame d’Alluye un regard plein de mélancolique passion, remplacera pour moi la vue de la Loire et les tours crénelées du château d’Amboise ; mais là, comme à Amboise, mon horizon est borné, la vigilance et la délation m’épient. Oui, poursuivit-il avec amertume, voilà la liberté que l’on me rend !

Et comme une larme semblait rouler alors dans les yeux de la marquise :

— Mais pourquoi me plaindre ! reprit-il en changeant de ton ; ces plafonds de Lesueur ne valent-ils pas ceux de Versailles, cet Olympe celui des dieux ? Tant que vous resterez auprès de moi, divinités d’une heure qui m’entourez, pourrais-je me croire captif ? Que me font le Louvre et Versailles, que me fait l’envie, la haine ? Restez, oh ! restez auprès de moi, belles sirènes ; voilez sous des fleurs la chaîne du prisonnier ! Dans un mois je vous invite toutes, toutes ici, à pareil jour, et avant ce temps j’espère que vous consentirez à m’y visiter plus d’une fois. Vous, madame d’Humière, avec votre carrosse ; vous, madame d’Hautefort, avec votre parure ; vous, monsieur de Lavardin, avec votre coup d’épée.

Et vous, monsieur, ajouta Lauzun à voix basse, en s’adressant à M. d’Alluye, oh ! vous ne m’empêcherez pas d’y rentrer, quoique j’en sorte pour vous dès demain !

— Et moi, monsieur Lauzun ? dit une voix qui retentit au milieu du silence glacé que les paroles du comte avaient fait.

— Qui m’appelle ainsi ? demanda Lauzun en replaçant sur la cheminée le flambeau qu’il y prenait pour conduire lui-même l’assemblée à la salle de collation.