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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

Quelques fleurs, coupées la veille, baignaient dans un vase et répandaient un parfum étiolé au milieu de cette pièce où brûlait alors une lampe.

Quelques indices d’élégance épars çà et là trahissaient pourtant en cette retraite la présence d’une femme habituée à la vie de cour : une montre ornée de sa châtelaine à cachets, une bague de grand prix et un petit carnet armorié traînaient sur le guéridon près de la Bible. Enfin, une boite en chagrin dans laquelle était renfermé un médaillon sur qui le couvercle n’était point abaissé et représentant un fort bel homme, donnait à penser que la dame en question n’était pas une recluse ordinaire, et qu’un grand ennui ou un grand amour lui avait fait choisir cette Thébaïde.

Elle avait passé l’âge des imprudences et des plaisirs, l’âge où l’on recherche la parure et les mille raffinements de la coquetterie. Des mèches de cheveux gris s’échappaient de sa coiffe, et des plis nombreux ridaient son front. Un certain air mortifié voilait alors les grâces languissantes de son visage, mais cette apparence était douce plutôt qu’austère, et l’extrême modestie de ses habits semblait l’embellir. Les yeux fixés sur sa Bible, elle paraissait en peser chaque passage, posant le livre saint, puis le reprenant, et s’interrogeant elle-même avec un grand trouble. Son regard errait de temps à autre sur les deux images attachées à la muraille, un combat violent semblait la briser ; elle termina sa pieuse méditation par un déluge de larmes.

— Dieu m’est témoin, murmura-t-elle affaissée que je l’aurai cherché dans la sincérité de mon cœur ; un mot de lui, une révélation venue d’en haut finirait mes doutes. Luttes opiniâtres, débats ardents qui m’épuisez, vous ne m’avez pas encore ôté l’amour, l’amour inaltérable que je garde à cet indigne, cet amour ne me quittera qu’avec la vie !

En parlant ainsi, elle regardait le médaillon.

Le personnage retracé dans cette peinture offrait avec M. de Lauzun une si exacte ressemblance, qu’il devenait