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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

impossible de ne pas le reconnaître. La dame observait cet émail avec une attention mêlée de bonheur et de crainte.

— Ainsi, pensait-elle, il ne viendra pas ce soir, son messager me l’a dit. La lumière qui brille à sa chambre vient de s’éteindre, il est rentré au château. Quand finira donc pour moi cette vie pleine d’alarmes ? Il y a si longtemps que je souffre ; ah ! je suis lasse d’espérer ! Qui me rendra jamais le cœur sur lequel j’ai seule des droits ? Quand il vient ici, on dirait que c’est pour accomplir un devoir, il se hâte de partir avant que j’aie pu même le consoler. Je ne le vois que trop, je ne suis plus rien pour lui ! Dans les premiers jours qu’il habitait ce château, ou plutôt cette prison, il m’écrivait vingt lettres plus pressantes les unes que les autres… — Parlez au roi, disait-il, parlez-lui, vous seule pouvez me sauver ! Hélas ! oubliait-il donc que je suis marquée moi-même au yeux de Louis d’un signe réprobateur ! Lorsque je me suis jetée à ses pieds une première fois, je l’ai entendu demander tout bas à M. le Premier quelle était ma religion. M. le Premier lui a répondu, sans doute, car le roi a subitement détourné la tête. Ah ! malheureuse que je suis, je ne me sens pas encore la force de prendre vis-à-vis de moi une résolution forte et courageuse ; je veille ici, mon Dieu, je veille et je vous cherche nuit et jour à travers mes larmes ! C’est à vous de me donner cette foi que je demande, que j’implore ! Dissipez vous seul les ténèbres de mon esprit, faites tomber de mes yeux le bandeau qui me cache votre lumière. Idolâtre jusqu’à ce jour, j’abjurerai, oui, ne fût-ce que pour lui !

Pour lui, continua-t-elle, oui, pour lui qui ne sait pas, l’ingrat, que mon cœur est et sera toujours son seul refuge. Il aura sans doute repris ici ses dépenses folles, son jeu effréné, ses dissipations coupables. Touchez-le, mon Dieu, touchez-le de ce même doigt qui me touchera !

Elle s’était jetée à genoux, les mains jointes et élevées vers le ciel.