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LES MYSTÈRES DE L’ILE SAINT-LOUIS

amour contrarié… Qui diable eût pensé qu’elle fût la fille de ce Leclerc ! Nous la croyions sans parents.

— Est-ce qu’un financier peut être père ? Il n’a pas ce droit, objecta gaiement Lauzun ; encore moins aurait-il celui de la rendre malheureuse.

— C’est ce qu’il va faire, pourtant. Ah ! si monsieur le comte le voulait, poursuivit Barailles avec feu, il la sauverait, cette infortunée Paquette !

— Comment cela ?

— Certainement ; il réaliserait aujourd’hui même à Paris la promesse qu’il lui a faite à Pignerol.

— Que dis-tu ?

— Je dis, monsieur le comte, continua Barailles sur le même ton, que ce n’est pas chose si difficile pour vous que de sauver du couvent cette pauvre demoiselle, que de la soustraire aux ordres de son père, la rendre même à cet amour devenu impossible. Et qui sait si, en croyant travailler ainsi pour un autre, vous n’arrangerez pas vos propres affaires ? Qui sait si le héros de son roman n’est pas ce même homme à l’aspect duquel elle tremblait et rougissait à Pignerol ?

— Tu crois ?

— Oui, à Pignerol, monsieur le comte ; rappelez-vous qu’elle surveillait là-bas vos moindres démarches ; quand madame d’Alluye arrivait, c’était au tour de Paquette à gémir et à pleurer. Que de fois je l’ai vue ainsi, ses beaux yeux voilés de larmes, suivre du regard le carrosse qui emportait la marquise, puis, s’arrachant bientôt à sa douleur, revenir vers vous le regard rempli d’une joie feinte ! Elle était là, toujours là, heureuse ou chagrine, confiante ou désolée.

— C’est ma foi vrai.

— Et ce bouquet, que la marquise vous prit un jour et qui venait de Paquette, ne vous en souvient-il plus ?

— Si fait, elle me bouda, et je fus un mois sans recevoir