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DES DÉLITS ET DES PEINES.

lois ? Le souverain, c’est-à-dire le dépositaire des volontés actuelles de tous, mais non le juge, dont le devoir est seulement d’examiner si tel homme a fait ou n’a pas fait une action contraire aux lois.

Dans le jugement de tout délit, le juge doit agir d’après un raisonnement parfait. La première proposition est la loi générale ; la seconde exprime l’action conforme ou contraire à la loi ; la conséquence est l’absolution ou le châtiment de l’accusé[1]. Si le juge est contraint de faire un raisonnement de plus, ou s’il le fait de son chef, tout devient incertitude et obscurité.

Rien n’est plus dangereux que l’axiome commun, qu’il faut consulter l’esprit de la loi. Adopter cet axiome, c’est rompre toutes les digues, et abandonner les lois au torrent des opinions. Cette vérité me paraît démontrée, quoiqu’elle semble un paradoxe à ces esprits vulgaires qui se frappent plus fortement d’un petit désordre actuel que des suites éloignées, mais mille fois plus funestes, d’un seul principe faux établi chez une nation.

Toutes nos connaissances, toutes nos idées se tiennent. Plus elles sont compliquées, plus elles ont de rapports et de résultats.

Chaque homme a sa manière de voir ; et un même homme, en différens tems, voit diversement les mêmes objets. L’esprit d’une loi serait donc le résultat de la logique bonne ou mauvaise d’un juge, d’une digestion aisée ou pénible, de la faiblesse de l’accusé, de la violence des passions du magistrat, de ses relations avec l’offensé, enfin de toutes les petites causes qui changent les apparences, et dénaturent les objets dans l’esprit inconstant de l’homme.

Ainsi, nous verrions le sort d’un citoyen changer de face, en passant à un autre tribunal, et la vie des malheureux serait à la merci d’un faux raisonnement, ou de la mauvaise humeur de son juge. Nous verrions le magistrat interpréter rapidement les lois, d’après les idées vagues et confuses qui se présenteraient à son esprit. Nous verrions les mêmes délits punis différemment, en différens temps, par le même tribunal, parce qu’au lieu d’écouter la voix constante et invariable des lois, il se livrerait à l’instabilité trompeuse des interprétations arbitraires.

Ces désordres funestes peuvent-ils être mis en parallèle avec les inconvéniens momentanés que produit quelquefois l’observation littérale des lois ?

Peut-être, ces inconvéniens passagers obligeront-ils le législateur de faire, au texte équivoque d’une loi, des corrections nécessaires et faciles. Mais du moins, en suivant la lettre de la loi, on n’aura point à craindre ces raisonnemens pernicieux, ni cette licence empoisonnée de tout expliquer d’une manière arbitraire, et souvent avec un cœur vénal. Lorsque les lois seront fixes et littérales, lorsqu’elles ne confieront au magistrat que le soin d’examiner les actions des citoyens, pour décider si ces actions sont conformes ou contraires à la loi écrite ; lorsqu’enfin la règle du juste et de l’injuste, qui doit diriger dans toutes leurs actions l’ignorant et l’homme instruit, ne sera pas une affaire de controverse, mais une simple question de fait, alors on ne verra

  1. L’original porte : « Le juge doit faire un syllogisme parfait. La majeure doit être la loi générale ; la mineure, l’action conforme ou non à la loi ; la conséquence, la liberté ou la peine. » Exemple : — Majeure, ou première proposition : Telle loi porte la peine de mort contre l’homicide. — Mineure, ou seconde proposition : Or tel homme est coupable d’homicide. — Conséquence : Donc, en vertu de la loi, le coupable est condamné à la peine de mort.