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DES DÉLITS ET DES PEINES.

ques hommes assemblés ! Éclaircissez ce front sévère ; laissez lire dans vos regards cette tendre inquiétude pour un homme qu’on désire trouver innocent ; que votre voix, douce dans sa gravité, semble ouvrir avec votre bouche un passage à votre cœur ; contraignez cette horreur secrète que vous inspirent la vue de ces fers, et les dehors affreux de la misère ; gardez-vous de confondre ces signes équivoques du crime avec le crime même ; et songez que ces tristes apparences cachent peut-être un homme vertueux. Quel objet ! Levez les yeux, et voyez sur vos têtes l’image de votre Dieu, qui fut un innocent accusé : vous êtes homme, soyez humain ; vous êtes juge, soyez modéré ; vous êtes chrétien, soyez charitable. Homme, juge, chrétien, qui que vous soyez, respectez le malheur, soyez doux et compatissant pour un homme qui se repent, et qui, peut-être, n’a point à se repentir.

» Mais laissons la contenance du juge, pour parler d’un art dangereux dont j’ai souvent entendu vanter l’utilité ; c’est celui d’égarer l’accusé par des interrogations captieuses, même par des suppositions fausses, et d’employer enfin l’artifice et le mensonge à découvrir la vérité. Cet art n’est pas bien difficile ; on trouble la tête d’un malheureux accusé par cent questions disparates : on affecte de ne pas suivre l’ordre des faits ; on lui éblouit la vue, en le faisant tourner avec rapidité autour d’une foule de différens objets ; et l’arrêtant tout à coup, on lui suppose un aveu