Page:Beckford - Vathek 1787 Paris.djvu/36

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Vathek se seroit sans doute précipité après le perfide Giaour, s’il n’avoit été retenu comme par une main invisible. La foule s’arrêta aussi ; tout devint calme. On se regardoit d’un air étonné ; & malgré le ridicule de cette scène, personne ne rit. Chacun, les yeux baissés, l’air confus & taciturne, reprit le chemin de Samarah, & se cacha dans sa maison, sans penser qu’une force irrésistible pouvoit seule porter à l’extravagance qu’on se reprochoit ; car il est juste que les hommes qui se glorifient du bien dont ils ne sont que les instrumens, s’attribuent aussi les sottises qu’ils n’ont pu éviter.

Le Calife seul, ne voulut pas quitter la vallée. Il ordonna qu’on y dressât ses tentes ; &, malgré les représentations de Carathis & de Morakanabad, il prit son poste aux bords du gouffre. On avoit beau lui représenter qu’en cet endroit le terrein pouvoit s’ébouler, & que d’ailleurs, il etoit trop près du magicien ; leurs remontrances furent inutiles. Après avoir fait allumer mille flambeaux, & commandé qu’on ne cessât d’en allumer, il s’étendit sur les bords fangeux du précipice, & tâcha, à la faveur de ces clartés artificielles, de voir au travers des ténèbres, que tous les feux de l’empirée n’auroient pu pénétrer