Page:Becq de Fouquières - L’Art de la mise en scène, 1884.djvu/145

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la salle. D'autres fois, il y a déplacement dans les points de plus grande intensité, par suite de la prépondérance inattendue que le jeu d'un acteur donne à l'un des personnages. En dehors du succès personnel que recueille cet acteur, il n'y a pas généralement lieu de s'en féliciter; car, si on admettait de pareilles transpositions, le succès des représentations serait abandonné au hasard. Le théâtre ne peut véritablement s'applaudir que lorsqu'aux moments précis les effets attendus se manifestent dans toute leur intégrité. Dans ce cas, assez fréquent d'ailleurs dans une troupe d'élite comme celle de la Comédie-Française, on sent longtemps d'avance se dessiner le succès; il suffit au commencement de la représentation d'une intonation particulièrement juste, d'un geste d'une saisissante précision, pour établir entre la scène et la salle ce courant sympathique qui électrise en même temps les acteurs et les spectateurs. Le jeu des acteurs s'assure et s'harmonise, leur voix prend des intonations chaudes et puissantes; ils semblent possédés du génie du poète dont les pensées et les vers franchissent incessamment la rampe; les spectateurs, de leur côté, sentent leur esprit se tendre sans fatigue, leurs sens devenir plus subtils, et leur cœur prêt à battre plus rapidement sous l'étreinte du poète. A mesure que la sensibilité des spectateurs s'accentue, les acteurs, tout en sentant leur être vibrer avec plus d'intensité, deviennent plus sûrs et plus maîtres d'eux-mêmes; ils se possèdent d'autant mieux que le public se possède moins; et, dans ces moments décisifs,