Page:Becq de Fouquières - L’Art de la mise en scène, 1884.djvu/218

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avons vécu. Il y a donc dans tout rôle un aspect permanent et persistant dont le comédien doit se pénétrer.

C'est ici que l'intuition, au sens exact et étymologique du mot, prend une importance de premier ordre. Si le comédien est bien doué, il possède en lui-même une riche collection d'observations, souvent inconscientes, suites et séries d'images qui peuplent son imagination. A la première connaissance qu'il prend du rôle, il obéit à un mouvement naturel tout subjectif: il regarde en lui-même, et de cet examen intuitif résulte une image initiale, sur laquelle il concentre alors son esprit de toute la force de son attention. C'est là son modèle; il s'efforce d'en bien concevoir les formes lumineuses, qui se dessineront dans la chambre noire de sa pensée. De la clarté de l'image dépendent la netteté et la sérénité du jeu. Quelquefois l'image est lente à se former, surtout à se compléter, et quelques acteurs ont en quelque sorte besoin de l'objectiver; il leur faut plusieurs répétitions pour en porter la représentation au point de perfection qu'ils sont capables d'atteindre. Quelquefois, au contraire, elle jaillit du cerveau sans effort, et, dans ce cas, l'artiste se sent dès le premier jour absolument maître de son rôle. Mais cette première phase intuitive d'un rôle est suivie d'une seconde phase plus laborieuse; car l'image apparue à l'esprit de l'artiste n'est, si je puis m'exprimer ainsi, qu'une image centrale, autour de laquelle oscillent un certain nombre d'images similaires, correspondant aux différents moments de l'action.