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Page:Becq de Fouquières - L’Art de la mise en scène, 1884.djvu/265

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est exacte et rigoureuse. Mais la vérité, ainsi vue sous un angle étroit, n'est plus la vérité idéale: c'est en quelque sorte une vérité tangible et mesurable, née de l'observation directe des faits, de l'examen des objets et de la confrontation des êtres particuliers qu'a réunis un même acte criminel ou une même situation comique. Ce nouveau public, vierge d'émotions esthétiques, auquel s'adressent aujourd'hui les poètes dramatiques, n'est pas formé à juger une passion ou un caractère en soi, indépendamment du circonstanciel des faits; mais il rapporte cette passion et ce caractère à son expérience personnelle et actuelle, et pour apprécier ce que l'une a d'horrible et l'autre de ridicule n'a d'autre étalon que la réalité. Ce n'est donc qu'en multipliant les traits particuliers, d'observation courante et journalière, qu'on lui procure la sensation de la vérité et de la vie. Il est bien heureux que Don Juan, Tartufe et le Misanthrope soient écrits, car un nouveau Molière ne saurait concevoir aujourd'hui sous la même forme ces comédies idéalement humaines et vraies, mais dont les personnages sont des types généraux tout à fait en dehors de notre expérience personnelle et de nos observations quotidiennes. Le public actuel s'intéresse donc moins à l'homme en général qu'aux hommes en particulier, et ne conçoit pas plus ceux-ci soustraits à toutes les conditions de climat, de race, de tempérament et de milieu social, qu'il ne les conçoit dégagés des influences extérieures, des circonstances et des faits.