Page:Becque - Théâtre complet, 1890, tome 1.djvu/312

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MICHEL

Je ne les ai jamais aimées, les femmes. Le peu d’argent que je gagne à la sueur de mon front passe chez le marchand de vin. J’ai essayé de ne plus boire, c’est ce qui m’a rendu malade. Donnez-moi à boire ?… Non !… non !… je ne vais pas bien depuis quelques jours ; c’est le travail, la boisson n’y est pour rien, c’est le travail. Cent trente et une nuits de suite, rien que ça, en tête-à-tête avec une énigme, il y a bien de quoi détraquer la cervelle d’un individu. Je barbote par moments, mais ça ne m’empêche pas de parler raisonnablement et de reconnaître les amis. Je t’ai bien reconnue tout de suite. Tu demeures toujours dans le quartier… hélas… J’irais chez toi les yeux fermés… rue de l’Ecole de Médecine, 19, au cinquième, la porte à droite… ton nom est sur la porte, madame Rosalie… Faut pas pleurer pour ça, tu es une bonne fille !? Donne-moi à boire (avec colère) ; je te dis de me donner à boire.

HÉLÈNE

Je ne le veux pas. (Elle se jette à ses pieds.) Tais-toi, par pitié, tais-toi. Ne prononce plus ce mot affreux. Maîtrise ce besoin terrible qui t’a déjà fait tant de mal, ménage les forces qui te restent et mes soins de tous les instants te rendront à la santé, à tes travaux, à ton génie. Distingue la voix qui te parle. Retrouve dans les plis de ta pensée et de ton cœur le portrait de la créature qui est là, à tes genoux.