Page:Bedier - La Chanson de Roland.djvu/213

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fuient, les Francs leur donnent fortement la chasse. Au Val Ténébreux ils les atteignent, les poussent vitement vers Saragosse, les tuent à coups frappés de plein cœur. Ils les ont coupés des routes et des chemins les plus larges. L’Èbre est devant eux ; l’eau en est profonde, redoutable, violente ; il n’y a là ni barge, ni dromont, ni chalant. Les païens supplient un de leurs dieux, Tervagant, puis se précipitent ; mais nul ne les protégera. Ceux qui portent le heaume et le haubert sont les plus pesants : ils coulent à fond, nombreux ; les autres s’en vont flottant à la dérive ; les plus heureux boivent à foison. Tous enfin se noient, à grande angoisse. Les Français s’écrient : « C’est pour votre malheur que vous avez vu Roland ! »

CLXXXI

Quand Charles voit que les païens sont tous morts, les uns tués par le fer, et la plupart noyés, et quel grand butin ont fait ses chevaliers, il descend à pied, le gentil roi, se couche contre terre et rend grâces à Dieu. Quand il se relève, le soleil est couché. L’Empereur dit : « C’est l’heure de camper ; pour retourner à Roncevaux, il est tard. Nos chevaux sont las et recrus. Enlevez-leur les selles, ôtez-leur de la tête les freins et par ces prés laissez-les se rafraîchir. » Les Francs répondent : « Sire, vous dites bien. »