Page:Bedier - La Chanson de Roland.djvu/223

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elle s’écrie : « Ah ! Saragosse, comme te voila déparée, quand tu perds le gentil roi qui t’avait en sa baillie ! Nos dieux furent félons, qui ce matin lui faillirent en bataille. L’émir fera une couardise, s’il ne vient pas combattre l’engeance hardie, ces preux si fiers qu’ils n’ont cure de leurs vies. L’empereur à la barbe fleurie est vaillant et plein d’outrecuidance : si l’émir lui offre la bataille, il ne fuira pas. Quel deuil qu’il n’y ait personne qui le tue ! »

CLXXXIX

L’empereur, par vive force, sept ans tout pleins est resté dans l’Espagne. Il y conquiert des châteaux, des cités nombreuses. Le roi Marsile s’évertue à lui résister. Dès la première année il a fait sceller ses brefs : à Babylone il a requis Baligant : c’est l’émir, le vieillard chargé de jours, qui vécut plus que Virgile et Homère. Qu’il vienne à Saragosse le secourir ; s’il ne le fait, Marsile reniera ses dieux et toutes les idoles qu’il adore ; il recevra la loi chrétienne ; il cherchera la paix avec Charlemagne. Et l’émir est loin, il a longuement tardé. De quarante royaumes il appelle ses peuples ; il a fait apprêter ses grands dromonts, des vaisseaux et des barges, des galies et des nefs. Sous Alexandrie, il y a un port près de la mer ; il assemble là toute sa flotte. C’est en mai, au