Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/141

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voyageurs se flattent d’être hors de peine, un soudain plongeon les met subitement sur pied, et les rejette non moins subitement sur leur siège ; la voiture s’arrête net, et Cudjoe, après s’être beaucoup agité au dehors, parait à la portière.

« Maître, s’il vous plaît, la place être fort mauvaise. Pas possible s’en tirer : faut mettre des rails, pour sûr. »

Le sénateur, en désespoir de cause, se prépare à sortir ; il tâte, indécis, cherchant la terre ferme ; soudain son pied s’enfonce à une incommensurable profondeur. Il s’efforce de le retirer, perd l’équilibre, roule dans la boue, d’où il est repêché par le fidèle Cudjoe, dans le plus déplorable état.

Par pure sympathie pour les os du lecteur, nous renonçons à poursuivre ce récit. Les voyageurs de l’Ouest qui ont passé les heures de la nuit dans l’agréable occupation d’arracher les pieux des barrières pour en faire des rails, et tirer leurs voitures de quelque abominable trou, auront une compassion suffisante de notre infortuné héros. Demandons-leur pour lui une larme silencieuse et passons.

Il était fort tard lorsque la voiture, boueuse et ruisselante, sortit de la crique, et s’arrêta à la porte d’une grande ferme. Il fallut quelque persévérance pour en réveiller les habitants ; enfin le respectable propriétaire parut et débarra la porte. C’était un grand, gros, robuste ourson, de six pieds et quelques pouces de haut en dehors des bottes, enveloppé d’une blouse de chasse de flanelle rouge. Une natte épaisse et emmêlée de cheveux roux, une barbe de même nuance et de plusieurs jours de date, ne contribuaient pas à rendre son extérieur prévenant. Il demeura quelques minutes tout droit, levant en l’air sa chandelle, lorgnant nos voyageurs d’un œil hagard, avec une expression effarouchée des plus lisibles. Ce ne fut pas sans efforts que le sénateur parvint à lui faire comprendre ce dont il s’agissait. Pendant qu’il s’y