Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/272

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— Ce qui me chagrine surtout, reprit le jeune homme, c’est qu’il y ait risque pour vous.

— Tu m’obligeras, ami Georges, de n’en pas parler davantage. Ce que nous faisons est affaire de conscience. Nous ne pouvons pas agir autrement. Et toi, mère, dit-il en se tournant vers Rachel, hâte tes préparatifs, car il ne faut pas laisser partir nos amis à jeun. »

Tandis que Rachel et ses enfants accéléraient, de leur mieux, la cuisson des galettes, de la volaille, du jambon et des entremets du souper, Georges et Éliza, les bras enlacés, assis dans leur petite chambre, s’entretenaient comme le peuvent faire un mari et une femme, à la veille d’une séparation peut-être éternelle.

« Éliza, dit Georges, les gens qui ont des amis, des maisons, des terres, de l’argent, et tout à souhait, ne peuvent s’aimer comme nous nous aimons, nous autres, qui n’avons au monde que nous. Avant que je te connusse, Éliza, personne ne m’avait aimé que ma malheureuse mère, au cœur brisé, et ma sœur. Je vis Émilie le matin même où le marchand l’emmenait. Elle vint dans le coin où j’étais couché, et dit : « Pauvre Georges ! ta dernière amie s’en va. Que vas-tu devenir, pauvre garçon ! » Je me levai, je jetai mes deux bras autour d’elle. Je criais, je sanglotais : elle pleurait aussi. Ce furent les seules paroles affectueuses que j’entendis pendant dix longues années. Aussi mon cœur était-il desséché et réduit en cendres quand je te rencontrai. Me sentir aimé, — oh ! c’était presque ressusciter d’entre les morts. J’ai été un nouvel homme depuis : et maintenant on ne t’enlèvera à moi qu’avec la dernière goutte de mon sang. Pour l’avoir il faudra marcher sur mon cadavre.

— Le Seigneur aie pitié de nous ! dit Éliza toute en larmes. Qu’il nous permette seulement de sortir de ce pays ensemble, et je ne lui demande plus rien.

— Dieu est-il donc de leur côté ? murmura Georges, donnant cours à l’amertume de ses pensées plutôt qu’il ne