Page:Beecher Stowe - La Case de l’oncle Tom, Sw Belloc, 1878.djvu/485

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— Le Seigneur, répliqua Tom.

— Je voudrais savoir tant seulement où il est ! moi y aller bien vite. Semble plus jamais possible reposer à présent : os et chair n’y tiennent plus. Je tremble de partout. Sambo m’aboie après tout le long du jour, parce que je vas pas assez vite à cueillir. C’est nuit noire, et les minuit avant que je sois à gagner mon pauv’e manger ; et j’ai pas tant seulement commencé de m’étendre et de fermer l’œil, que v’là le cornet qui sonne, et v’là le matin, et v’là qu’il faut recommencer. Ah ! que j’irais bien lui dire tout ça au Seigneur, si je savais où le trouver !

— Il est ici, il est partout, reprit Tom.

— Misère ! c’est pas à moi que vous ferez accroire qu’il est ici ! N’y a pas le Seigneur ici du tout, du tout, dit la femme ; mais à quoi sert parler ! Je m’en vas me camper par terre, et dormir pendant que je peux. »

Les femmes se rendirent à leurs cases, et Tom resta seul près du feu à demi éteint, qui éclairait d’un reflet rouge sa noire face. La tranquille lune, au front argenté, se dessinait dans le bleu du ciel ; et calme, impassible, comme le regard que Dieu laisse tomber d’en haut sur les scènes de misère et d’oppression, la silencieuse lueur descendait sur le pauvre nègre abandonné, seul, assis, les bras croisés, sa Bible sur ses genoux.

« Dieu est-il donc ici ? » Oh ! comment l’ignorant gardera-t-il sa foi immuable ? comment ne chancellera-t-il pas à l’aspect du désordre et de l’iniquité qui règnent sans contrôle ? La lutte qui s’élève dans cette âme candide est déchirante : Tom se sent anéanti en présence du triomphe absolu du mal. C’est une angoisse sans nom ; c’est le pressentiment d’une misère sans limites ; c’est le naufrage de toutes les espérances passées que ses souvenirs tumultueux roulent devant lui, comme les vagues forcenées ballottent sous l’œil du naufragé expirant les cadavres sans vie de sa femme, de ses enfants, de tout ce qui lui fut cher. Oh ! qu’il est difficile de croire et de