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Page:Beecher Stowe - La fiancée du ministre, 1864.djvu/12

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Dans les établissements de la Nouvelle-Angleterre règne la sainte et touchante coutume de conférer à la femme que Dieu a frappée, une sorte de dignité qui rappelle continuellement ses droits au respect et à la considération de la communauté. La veuve Jones, la veuve Brown ou la veuve Smith : c’est là une des institutions permanentes de chaque village du pays, et sans doute cette désignation plaide constamment en faveur de celle que la douleur, semblable à la foudre céleste, a rendue sacrée.

Quoi qu’il en soit, la veuve Scudder était une de ces femmes qui sont toujours reines dans quelque cercle qu’elles se meuvent. Personne n’était plus citée, plus écoutée, ne jouissait d’une autorité plus incontestée. Elle n’était pas riche : une petite ferme et un modeste chalet à un étage composaient tout son avoir ; mais c’était une de ces femmes enviées que les gens de la Nouvelle-Angleterre appellent une femme de ressource ; don précieux, qui, aux yeux de cette race avisée, est bien au-dessus de la richesse, de l’instruction ou de toute autre qualité mondaine. Ressource est le mot yankee pour savoir-faire, et le défaut opposé, c’est ne pas savoir le retourner. Pour les Yankees, le savoir-faire est la plus grande des qualités chez un homme comme chez une femme ; de même que ne pas savoir se retourner est le plus grand des défauts. Rien n’est impossible à la femme de ressource. Elle saura nettoyer les planchers, laver et tordre le linge, pétrir le pain, brasser la bière, et cependant ses mains demeureront petites et blanches : elle n’aura point de revenu appréciable, cependant elle sera toujours bien mise ; elle n’aura point de servante, avec une laiterie à conduire, des gens de journée à nourrir, un ou deux pensionnaires à soigner, des quantités inouïes de conserves et de confitures à faire, et vous la verrez régulièrement toutes les après-midi assise près de la fenêtre de son salon, à demi cachée par le lilas, calme, paisible, montant un bonnet de mousseline ou lisant le dernier livre paru. La femme de ressource n’est jamais pressée ni jamais en retard. Elle a toujours le temps d’aller au secours de cette pauvre Mme Smith, dont les confitures ne veulent pas prendre, ou d’enseigner à Mme Jones