Page:Belon - L’histoire naturelle des estranges poissons marins.djvu/14

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d’argent. La mesure qu’ils mõstroient de la longueur, estoit pres d’une aulne & demie, & toutesfois iamais homme ne tasta de sa chair. Car ils n’ont point d’usage d’en manger : sinon qu’ils se servirent de sa gresse. Et pour en laisser memoire, ils purgerẽt les ossements de la teste, laquelle ils gardent encore avec sa queue pendue au dessus de la porte de la ville, qui est la chaine du port auquel lieu il y avoit l’escaille d’une tortue, dõt ils en ont cõtrefaict un monstre, mettant la teste devant, & la queue derriere : & pour autant que ie fei retirer le portraict des ossemẽts de la dicte teste, ie l’ay faict representer en ce lieu avec la peincture des Daulphĩs, cõme lon pourra veoir ci apres quãd ie parleray des interieures parties de la teste du Daulphĩ. I’avoye tout ceci a dire en prouve que les Italiens n’aient acoustumé de manger du Daulphin, de laquelle chose il me sẽble qu’il suffit pour ceste heure, de ce que i’en ay dict.

VIII.

Que les hommes des pais du Levant pensent que soit plus grande cruaulté d’offenser un Daulphin, que de tuer un homme : & qu’ils l’ont en grande veneration.

IAY voulu adiouster d’avantage, qu’il n’y a aucũ des pescheurs Turcs, Grecz, Esclavons, Albanois, & autres gents qui suivent la religiõ Greque, qui se mette iamais en effort de faire mal a un Daulphin : mais ils ont de coustume, que quand aucũ d’entre euls ont pris un Daulphin dedens les rets, ils prennent bon augure, & encore que le Daulphin eust faict dommage aus retz, ils ont grãd paour de luy faire mal : & le remettẽt en la mer, avec parolles de saincteté, en disant des prieres, & estimants que quand ils ne leur feront violence, cela leur pourra profiter en autre temps. Car celluy d’entre euls qui se pourra raisonnablement vanter qu’il ait donné liberté par dix fois a un Daulphin, pẽsera en acquerir grãde louange entre ses compaignons. Et a ce les meut une commune raison que i’ay desia par ci devant escripte. C’est qu’il n’y a celluy d’entre euls, qui n’ait opinion, que quand ils seroient en une extremité a la mercy de la mer, ou que leur navire seroit froissee contre les rochiers, ou autrement brisee ou batue entre les vagues des horribles tempestes de la mer, ou bien qu’il fust iecté en l’eaue par la malice de ses compaignons, comme fut Arion, que les Daulphins qu’il auroit autrefois delivrez de captivité, en