Page:Beltjens - Le condor captif, Aurore, 1885.djvu/19

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Aux cuistres, écorcheurs de la sainte harmonie,
Décrocher l’épigramme et lancer l’ironie,
Voici ton tour ! D’abord un prélude badin,
Comme pour essayer ton instrument ; soudain
L’arpège éblouissant part, éclate en fusée,
Se disperse en éclairs ; la cadence rusée,
Vole après eux, les suit, les rattrape aussitôt,
Les saisit, les suspend au bout du staccato,
Jongle avec eux, les lance en roulade hardie,
Et les fait retomber, perles de mélodie !
Le chant monte et s’accroît ; comme un flot suit le flot,
De la strophe achevée une autre strophe éclot ;
L’air est comme ébloui d’un amoureux vertige ;
Le rosier voit la rose émerger de sa tige ;
Le ramier confondu n’ose plus roucouler ;
Le vieux roc attendri sent ses larmes couler,
Tant l’aimable enchanteur, qu’il rie ou qu’il soupire,
Sur l’assemblée entière exerce un tendre empire ;
Et pendant qu’un ensemble un instant l’interrompt,
Les vieux chênes entre eux, en agitant le front,
Se murmurent tout bas : « Comme il monocordise !
Après tout, c’est bien lui le plus fort, quoiqu’on dise. »
Et le maître enchanté, rayonne ; seulement,
Il en veut, par endroits, à l’accompagnement ;
Le ruisseau ralentit, la source précipite
La mesure indiquée ; il s’indigne, il palpite,
D’une main il apaise, et l’autre avec hauteur
Du chantre paresseux gourmande la lenteur ;
Il se penche en avant, se rejette en arrière,
Au souffle inspirateur donne pleine carrière.