Page:Beltjens - Le condor captif, Aurore, 1885.djvu/9

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Je reconnais en toi, noble oiseau que je plains,
Un symbole effrayant des pleurs et des alarmes
Dont, sous le poids du sort, nos propres cœurs sont pleins.

Nous aussi, nous mortels qu’une aveugle sagesse,
Sans autre espoir, condamne aux terrestres séjours,
En nous disant : vivez, usez avec largesse
De l’heure qui s’enfuit, — d’où vient que certains jours,

Entourés de plaisirs et de bouches rieuses,
À travers les refrains des plus folles chansons,
Nous entendons des bruits d’ailes mystérieuses
Dont notre chair frémit et dont nous pâlissons ?

Quand même autour de nous la vie en fleurs foisonne,
D’où nous vient ce dégoût, cet incurable ennui ?
Et quel est ce beffroi qui dans nos seins résonne,
Plus triste et plus profond que la voix de minuit,

Pareil à ces accords qu’avec de sourds murmures
Exhale au vent du soir longeant les noirs coteaux,
Dans la salle déserte où pendent les armures,
La harpe ossianique au fond des vieux châteaux ?

Quand du bal rayonnant le magique vertige
Devant nous se pavane aux sons des instruments,
Quand l’essaim gracieux de cent beautés voltige,
Et que le vin déborde aux verres écumants ;

Quand tout nous dit : amour, gloire, beauté, fortune,