Page:Beltjens - Le condor captif, Aurore, 1885.djvu/10

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Quand la joie ensorcelle à la fois tous nos sens,
Quel est ce trouble-fête à la voix importune
Qui gâte nos concerts de ses mornes accents ?

Pourquoi ces pleurs soudains, ces pleurs de nostalgie,
Mêlant leur amertume à nos bonheurs humains,
Et qui font au milieu de la folâtre orgie
La coupe de l’ivresse échapper de nos mains ?

C’est qu’un instinct sublime au fond de nous sommeille,
Taciturne, immobile, aussi longtemps qu’il dort,
Mais qu’un choc imprévu subitement réveille,
Et fait crier d’horreur, semblable à ce Condor.

Que faut-il ? C’est la nuit, une fleur dont la brise
Nous apporte en fuyant le triste et doux parfum,
Invisible cercueil où, d’une aile surprise,
Ressuscite un amour depuis longtemps défunt…

C’est la flûte du pâtre assis dans la vallée,
Évoquant par ses airs nos jours d’adolescent,
Cher printemps dont la fleur au vent s’en est allée,
Sans retour en allée au gouffre où tout descend !

C’est une mélodie, une strophe éplorée,
Où du cœur amoureux chantent les doux frissons,
Qu’autrefois nous disait une bouche adorée,
Qui n’a plus de sourire et n’a plus de chansons.

C’est l’angelus lointain couvrant de ses volées