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ANTOINE DÉCHAÎNÉ

— Ah ! le salaud !

Le masque d’Antoine, quand il rentre sur ce mot-là, exprime à la fois la passion et l’amusement ; il ne sait plus s’il faut rire ou encore se fâcher ; il vient de « gueuler » comme il dit, à l’imbécile pernicieux qui doit descendre en flageolant, que c’était trop, qu’il y avait des limites, qu’il voulait le voir sur-le-champ décamper. L’autre disparu, il se juge et s’amuse. Son œil frise et sa bouche goguenarde répète :

— Ah !… Ah ! le salaud !

C’est une de ses expressions préférées. Grosse et triviale, elle dit d’abord sa colère devant les ratés et les truqueurs, tous les misérables qui déshonorent le théâtre et la vie. Mais sur ses lèvres elle glisse, si spontanée et si narquoise qu’elle veut dire encore plus : « La société, quelle blague ! »

La société… pas l’art ! À l’art il a donné et donne encore toutes ses forces. Ses fauteuils, ses chaises, ses tables sont encombrés de manuscrits,