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ANTOINE DÉCHAÎNÉ

de cette femme ensorcelante et de Frédéri, Antoine l’avait mise à sa fenêtre simplement. Le jeune homme passait à cheval, ayant Vivette en croupe, et l’autre, dans un rire insolent, lui jetait une fleur. Frédéri tressaillait, se tournait ; jusqu’au détour de la ruelle, il ne la perdait plus des yeux.

— Le public ne comprendra rien ! Il faut que le public comprenne ! a dit encore l’exploitant de la firme.

Et il eut cette trouvaille, qui laisse loin derrière elle la force d’Antoine et la poésie de Daudet :

— L’Arlésienne se tournera le pied devant Saint-Trophime. Frédéri passera, se précipitera, la soutiendra, et il lui frottera ce pied ! Incident gracieux, qui plaira.

Pour le début, en préface, on présentera « le pays et ses habitants », comme dans un atlas (le cinéma se doit d’être instructif !) Et à la fin, pour que le public s’en aille baigné d’une émotion godichonne mais apaisante, on ne lira pas : « Au revoir ! » sur l’écran après le suicide de Frédéri. Pour en faire oublier l’horreur, on verra Rose Mamaï, à genoux près d’un calvaire, les mains tendues vers Dieu !

Serait-ce, juste Ciel, pour le supplier d’éclairer enfin les cervelles fumeuses des commerçants qui détiennent les capitaux du cinéma ? Le voilà le problème, et qui ne laisse