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ANTOINE DÉCHAÎNÉ

harpe. Ses cordés ont gardé des souvenirs harmonieux qui, à tout instant, s’échappent. Et quand lé souvenir manqué, le ton reste, cette vibration qui donné à la moindre de ses phrases un émoi majestueux. L’Arlésienne le considère. Quel curieux visage elle a, cette fille ! Toujours si calme, d’une dédaigneuse indifférence : il a fallu le verbe passionné du Sociétaire pour la rendre attentive. Et, du coup, la voici moins belle. Car sa vraie beauté, c’est l’énigme qu’elle présente. Au music-hall, où sa demi-nudité est la seule attraction, on ne remarque pas son teint mat d’apathique, prunelle sans feu, le pli d’écœurement de sa lèvre, qui lui donnent, dès qu’elle met une robe comme les autres, une beauté sournoise, contre quoi l’on sent bien qu’un homme pourra venir s’abîmer. Antoine l’a choisie pour ces qualités redoutables. Et le « Sociétaire » dans la voiture l’appelle Madame sur un ton noble qu’elle mérite par son air pensif dès qu’il parle.

Aussi il n’arrête pas de parler, plus que l’auto