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GRANDGOUJON

programme prodigieux ! — Acteur ? Pourquoi pas ! Il ne récitait pas mal. Le matin, il ne se levait jamais sans crier en sautant sur sa chemise : « En scène pour le un ! » Et il entrevoyait là une vie… prodigieuse ! avec de chauds succès, des amitiés fraternelles, des centièmes au champagne. Seulement, le métier d’avocat le séduisait aussi. Parler, s’échauffer, défendre une victime, enlever un jury, ça, alors, vraiment, c’était prodigieux !

— Et puis, disait sa mère, ton père, en dépit de sa timidité, aurait tant voulu être avocat !

Cet argument décida son âme sensible, et il devint homme de robe avec peine, mais sans trouver le temps long.

Une crise passionnelle subite, qui l’absorba tout entier, l’empêcha de perdre patience. À vingt-quatre ans, l’amour, avec tout son cortège de plaisirs et de peines, de trémolos et de ridicules, tomba sur lui, et dans un tourbillon l’enleva au pays des rêves, où deux ans il s’égara sans toucher terre. Il s’était épris d’une jeune fille fantasque, en qui il avait cru trouver une personnalité « prodigieuse », parce qu’elle manquait de bon sens à toutes les minutes de la vie. Sa tenue, comme ses paroles, coiffure autant que cervelle, tout marquait un manque d’équilibre si continu que Grandgoujon en avait des explosions admiratives, puis des béatitudes où il se noyait, murmurant devant elle : « Ah ! petit être formidable ! »

Avec cette aventure il fit sangloter sa mère, de