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GRANDGOUJON

— Il y sera !…

Grandgoujon était inquiet. Alors, il repensa à la vieille tante. Veuve de général, elle connaissait sans doute quelque officier en ville ; seulement quelle scie de la voir ! « Bah, se dit Grandgoujon, en guerre !… » Et il demanda où elle habitait.

Clermont est une des plus charmantes petites villes de France, grimpante et étagée, avec un hôtel de ville au-dessus de ses maisons, et une église au-dessus de l’hôtel de ville. Des demeures solides, bien posées, d’un dessin calme, avec de bons toits sérieux, des bornes aux portes cochères, des volets lourds aux fenêtres. Dans l’église repose un Maître des eaux et forêts, et un jurisconsulte, aux côtés de qui sont couchées leurs épouses, de quinze ans plus jeunes qu’eux. Rues et places sont désertes, mais il arrive que, des cours, on voit sortir, pour aller à la fontaine, des servantes qui ont des coiffes de religieuses.

— Ah ! soupira Grandgoujon qui aimait la vie plus que les souvenirs, ça ne doit pas être la rigolade ici…

Sur cette pensée maussade, il sonna chez sa tante. Stupeur. Cette vieille, qu’il n’avait pas revue depuis trois ans, était rajeunie, épanouie par la guerre. Elle apparut dans un sombre salon qui sentait la cave, et s’écria :

— Mon cher neveu ! Vous aussi soldat ! Mais pas de grade encore ? De quel front venez-vous ? Prenez un siège. Racontez-moi.

Elle avait un sourire mécanique, et papillotait des yeux.