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GRANDGOUJON

mari, qu’était dans un secteur par là. » Et on la sentait à la fois servile, puis menaçante, repentie et agressive. Mais Grandgoujon, candidement, se trouva remué par cette curiosité domestique, comme par l’accueil ébroué de sa mère. Il avait l’âme sans rancune. Avec rondeur il demanda :

— Dans quel coin est-il, Madame, votre mari ?

Et tandis qu’il se déchaussait, il se mit à causer avec cette femme qui, pourtant, représentait à ses yeux ce que la société a produit de plus malsain. Puis, à elle aussi il conta son aventure. Et elle, elle conclut :

— Le plus malheureux c’est çui qu’aura tout fait, pis qui sera tué l’dernier.

Grandgoujon dit avec mélancolie :

— C’est vrai.

Il avait ôté ses chaussures ; remuait ses doigts de pieds pour les délasser. Il ouvrit ses musettes, en tira du papier gras, du chocolat blanc, des croûtons noircis, et il conta ses nuits, ses repas, disant toujours :

— Il faut avoir vu, vous savez !

Madame Grandgoujon ouvrit la porte.

— Chéri, attends-moi pour raconter.

— Pouh ! J’en raconterais jusqu’à demain.

Elle lui fit un tendre sourire :

— Comment veux-tu tes œufs ?

— Battus en neige, dit-il, autour d’un gâteau de riz au caramel.

— Ne te moque pas !

— Je suis très sérieux. Tu me vois à jeun ! Et je n’en peux plus. J’en ai la chair molle : tâte toi-