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GRANDGOUJON

Grandgoujon à qui l’émotion mettait des feux aux joues. Bref… tu as vu une attaque ?

— Presque.

— Tu étais sous les obus ?

— Ah !… Je suis capable d’en retrouver plein mes poches. Et comment suis-je vivant ? J’ai été enterré.

— Enterré !

— Mon neveu aussi, grogna Mariette.

— Il faudra écrire tout cela ! dit Madame Greveau. C’est incroyable ! Le public l’ignore.

Mais à ce mot de « public », Grandgoujon fronça les sourcils, et passant brusquement de la satisfaction de l’héroïsme à la mauvaise humeur et à la marotte :

— Le public… on lui bourre le crâne !

Et il commença de dérouler ses molletières.

— Quelle boue ! dit Madame Grandgoujon.

— Boches criminels ! dit faiblement Madame Creveau.

— Tu n’as pas mangé ? reprit sa mère. Pauvre chéri !… Mariette, faites-lui donc…

Elle n’acheva pas, et courut elle-même à la cuisine.

La sonnette de l’entrée tinta. Mariette, avec effort, consentit à ouvrir : c’était la concierge. Elle la ramena, en même temps que le paillasson du palier, qu’elle glissa sous les pieds de Grandgoujon. La concierge apportait une lettre ; et entendant de Mariette que Monsieur revenait du front, elle se permettait de demander « si Monsieur, par hasard, aurait rencontré son