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GRANDGOUJON

cocos-là ! Finies les phrases. Moi, aussi j’ai commencé par être avocat, mais depuis, j’ai été bombardé… et il fera chaud quand je replaiderai.

— Quel métier feras-tu donc ? dit sa mère interdite.

— Quel métier ?… D’abord pour l’instant, je vais me raser. Viens avec moi : c’est odieux de se raser seul. Et après la guerre, ne vous en faites pas, madame : il y aura du boulot !

Il s’était savonné ; il tenait son rasoir.

— Je n’ai que quarante ans ; je ne suis pas un homme fini !

— Poulot, dit Madame Grandgoujon, j’ai peur que tu ne te coupes.

— Je ferai du commerce, dit-il gaiement ; je vendrai n’importe quoi, pourvu que ça fasse plaisir. Ni obus, ni pistolets. Aux gosses des crottes de chocolat ; aux femmes je vendrai des gosses ; et aux hommes je vendrai des femmes. Et… et je me suis coupé : ça y est.

— Oh !… tu n’es pas raisonnable. Éponge vite !

Il fut très sérieux pour répondre :

— J’en ai vu d’autres.

Après sa toilette, rafraîchi et allégé, il revint dans le salon :

— On étouffe ici. Quand on sort de cette bataille immense, c’est burlesque nos petites cages à mouches, avec ces petits bibelots, tous ces petits saint-frusquin.

Le chat tombé du troisième, assis sur son derrière, le guettait de loin, cette fois.

— Même Mistouflet me paraît gros comme rien !