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GRANDGOUJON

Il n’avait revu ni lui, ni sa femme. Tous deux, agités, étaient partis installer une cantine de gare dans une ville d’eau. Idée de Monsieur Punais : « Les femmes, disait-il, qui viendront en villégiature, seront priées, surtout les jeunes et les plus jolies, de consentir une fois par jour à une partie de cartes. Oui, une simple manille, avec un simple des poilus ! » Et Monsieur Punais exposant son idée, avait un sourire fin qui voulait dire : « N’est-ce pas vieille France et délicat ? »

Madame Grandgoujon rapporta ce projet à son fils qui, sans ménagement, exprima la brève opinion de Quinze-Grammes :

— Quelle tomate !

Et n’ayant pas l’heureuse occasion de revoir Madame, il s’irrita sur Monsieur :

— J’irai écouter son bafouillage pour ne pas me singulariser, et ne sifflerai point, puisque tu m’as bien élevé, mais je sortirai au premier mot qui m’horripilera.

— Pour moi tu ne le feras pas, implora sa mère.

— Hélas, si ! répliqua-t-il. Car je devine le laïus : ce hanneton mondain va raconter que les Boches ne bouffent plus que de la brique, qu’ils pompent la graisse de leurs cadavres, et qu’ils font tous leurs pantalons avec des orties. Or, j’ai éprouvé, moi, la vigueur des Boches. Donc, après deux phrases de ce genre, je serai dehors !

Infortunée Madame Grandgoujon, si peu vindicative, elle était désormais dans un effroi continu que son fils ne se remît à bouillir : car il était