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GRANDGOUJON

— La guerre ?… Eh bien, c’est le viol légitimé, reprit Moquerard, roulant des prunelles de convoitise.

— N’empêche, remarqua Grandgoujon sourdement, que je n’ai encore violé personne.

— Cas anormal ! riposta Moquerard. Aurais-tu fais vœu de chasteté, homme de cent kilos ?

Plusieurs auditeurs se tournèrent. Très digne, Grandgoujon reprit :

— Justement !

Il se chargeait de rancune, comme une pile se charge d’électricité. En refrain, il dit :

— Ce n’est plus le moment de me bourrer le crâne…

Ah ! Cette simple phrase alluma Moquerard. Il le fixa de ses yeux féroces, et, le vouvoyant soudain, il jeta avec colère :

— Encore ! Mon vieux, vous tombez dans la manie ! Vous m’avez servi ça l’autre jour, en débarquant, et vous aviez le même air fin de Minotaure en colère ! Moi vous bourrer le crâne ? Mais, je n’ai rien à vous bourrer ; puis je me fiche de votre crâne !

Des femmes regardèrent Grandgoujon, aussi écarlate que Moquerard. Mais ce dernier brusquement se calma, et, tandis que sa rougeur s’apaisait :

— J’aperçois Nini… Je vous plaque !

Grandgoujon demeura seul, en proie à des sentiments mauvais. Décidément, il détestait cet individu, mais le détestant il n’était pas fier de soi, car il ne se sentait point devenir bon. — Il