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GRANDGOUJON

tourna la tête. Il aperçut Mademoiselle Nini, installée à une table. Elle était venue sténographier le discours de Punais. Machinalement, Grandgoujon inclina la tête, et elle rendit le salut. Moquerard arrivait à elle :

— Pourquoi dis-tu bonjour à ce crétin des hautes altitudes ? Je viens encore de causer avec lui : c’est un cœur de boutiquier patriotard. Il a été passer dix minutes au front, pendant lesquelles il a transpiré de peur à tremper son gilet de flanelle ; mais il revient hypnotisé, grandi et grossi par ses batailles. Alors, devant Monsieur, il n’est plus permis de parler que de la guerre et de sa sacrée mission. Il commence à me courir sur l’haricot !…

— Oh ! dit Nini, il est brave garçon…

— Précisément, reprit Moquerard qui s’agitait. Nous mourons des braves garçons ! Il est bon, cet imbécile, comme on l’est dans les chansons de Béranger, cet autre idiot. Tous ces gens-là sont des vaincus d’avance. Je m’en fous, moi, de la bonté ! Sommes-nous dans les Catacombes, avec les premiers chrétiens ? Admire d’ici sa bobine de nourrice sèche ! Il parle pompeusement et il est chauvin, mais si tu agites un drapeau près de lui, il s’enrhume… Il faut que je me paie sa tête dans les grandes largeurs.

— Tu es méchant, dit Nini.

— Je vais suggérer à Colomb, autre volaille…

— Est-il là ? dit Nini.

— Devant toi : la redingote Second Empire.

— Quelle touche ! fit Nini s’étouffant.