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GRANDGOUJON

— La vie est immense !

Il se tenait les côtes. Il étouffait. Il fut obligé de boire ; puis dans sa joie il se fourra au lit, en bourrant de coups de poings son traversin.

Le lendemain, cette folle humeur, loin de s’apaiser, s’épanouit mieux, et elle détermina des événements de caserne importants.

Comme il venait, avec une trentaine de pelés, de s’aligner pour le dixième appel en trois heures, il lança d’un air farce :

— C’est vouloir la révolution !

— Qu’est-ce que vous rouspétez ? dit le sergent, qui n’avait pas saisi.

Alors, interdit, mais la bouche en cœur, Grandgoujon reprit :

— Sergent, on nous traite comme des bestiaux, et nous avons peut-être l’étoffe de conquérants.

— Conquérants ? Des indisponibles ! Faudrait commencer par être disponibles !

Grandgoujon sortit du rang : il souriait de toute sa grosse figure sous son képi trop petit.

— Je demande à l’être, dit-il.

— Pouh ! Si le major était là !…

— Je demande le major.

— Je vous prends au mot ! fit le sergent… Passerez la visite tantôt !

— Parfait !

Il lança son képi en l’air et le rattrapa avec sa tête. Puis, les trois heures qu’il attendit sa comparution devant le médecin, il les vécut sous pression. Il ne s’ennuyait même plus dans cette