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GRANDGOUJON

— Euh… si.

— Et vous avez pas rouscaillé, parce que vous aviez pas été libéré, non ?

— Mais… si.

— Alors ? Pour vous libérer fallait que j’vous convoque. Ben j’vous ai convoqué, et vous v’là libéré.

— Me voi…

— Et pis suffit ! hurla le sous-off, ça va pas durer trois jours ! Saluez, maintenant, pis rompez !

Ce second contact avec l’élément militaire laissa Grandgoujon morose. D’habitude, il rebondissait : ses amertumes ne résistaient pas à une heure de temps clair, à une bouteille, à la lecture de cent beaux vers, mais en guerre les riens deviennent graves.

La vieille bonne de sa mère et la concierge lui faisaient un mauvais œil ; il devinait des chuchotements derrière : qu’il était protégé, que grâce à quelque puissance il avait pu se terrer chez lui, et dès lors ce ne fut pas une vie de continuer d’être ce qu’il était : un civil. Le raisonnement léger de sa mère : « Puisque c’est légal » n’apaisait plus le feu de sa conscience car, décidément, lui se répondait : « Je suis gros… mais ne suis pas malade. »

Pensée qui l’amena d’ailleurs à se dire : « Au fait… ne suis-je pas malade ? »

Et il commença par s’en donner l’air.

Il faisait l’homme essoufflé, lorsqu’il montait dans un tramway, ou bien il s’appuyait pesamment sur sa canne en regardant ses pieds. Un