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GRANDGOUJON

Il avait l’air de dire : « Nous sommes absurdes ? Parfaitement. Je veux être absurde ! »

Puis, montrant les gradins couverts de spectateurs, il reprit :

— Que de monde !… Pendant que les autres se font massacrer… Il faut donc à tout prix que les gens s’amusent ?

— Nous faisons partie des gens… dit Madame Grandgoujon indulgente.

— Nous ? Moi ?… Ah ! il me semble que j’en ai le droit, moi ! dit Grandgoujon durement ; je sors d’un cabanon !

— Bien sûr… mais ne parle pas trop haut ! balbutia Madame Grandgoujon, et remarque qu’il y a surtout des permissionnaires… des écoliers, des blessés. En voilà encore un pauvre qui installe sa jambe de bois.

— Ceux-là, dit machinalement Grandgoujon, il faut se mettre à gen…

Mais, s’étranglant :

— Comme dit Colomb !

Et avec un mauvais ricanement :

— Cet imbécile !…

Sa mère fit un « Oh ! » de douce protestation. Alors, furieux, il dit :

— Je répète : imbécile !… Il m’offre à moi un gosse rapatrié ! Comme si je pouvais être bon, moi, et philanthrope, moi ! Je suis soldat, moi, c’est-à-dire un esclave au ban de la société ! Donc, quand j’ai fini mon service, qui consiste à ne rien faire, de moi il n’y a rien à attendre ni à espérer ! On me traite comme le peuple : parfait ;