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Page:Benjamin - Grandgoujon, 1919.djvu/278

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GRANDGOUJON

Paris, parce que cette nièce était mariée dans le Bourbonnais à un inspecteur des chemins de fer. Grandgoujon leur avait télégraphié. Elle accourut la veille des obsèques, flanquée de son mari dont, paraît-il, c’était le premier congé depuis 1914, — remarque destinée à souligner ou le labeur de cet homme, ou le mérite de son déplacement, ou le sacrifice de son congé… ou… peut-on deviner tout ce qu’une femme acariâtre met en la moindre de ses plaintes ?

Pour acariâtre, cette nièce l’était, par nature, par étroitesse d’esprit, par un goût de dominer et de tyranniser, et aussi par une curiosité basse, qui la poussa vers la cuisine et la loge, sitôt débarquée. Elle voulut savoir le prix du convoi, si la vie militaire de Grandgoujon était dure, quel chagrin il avait laissé voir devant sa mère morte.

— A-t-il pleuré ? Est-ce qu’il a du cœur ?… À nous, jamais il n’en a montré. Mon mari est inspecteur du réseau : vous savez, ce qu’ont fait les chemins de fer durant cette guerre. C’est l’enfer, nuit et jour : eh bien, de ce monsieur qui se tournait les pouces et vivait en jouisseur, jamais nous n’avons reçu le plus petit mot d’affection. Je ne me plains pas : il est libre, mais quand même…

— Quand même on a le droit de dire ce qu’on pense, reprenait la concierge, surtout quand on a un mari de devoir comme Madame, ou comme le mien qu’est dans les tranchées depuis le premier jour.