Page:Benjamin - Grandgoujon, 1919.djvu/43

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
45
GRANDGOUJON

« qui toujours sont polis avec une femme honnête. »

— Vous ne me surprenez pas, dit Grandgoujon, car c’est une belle race !

Mais le mari s’approcha, toujours son lorgnon d’écaille au nez, et, rieur puis grave, l’air absent, d’un ton qui allait d’une lenteur dogmatique à une confusion précipitée :

— Je cours nos chères provinces. Je m’adresse aux maires, préfets, commandants d’armes, et… c’est extraordinaire !…

Derrière ses verres, il agrandissait les yeux, et sa femme approuvait de la tête. Grandgoujon fit comme elle. Le mari continuait :

— Ah ! si la politique n’était pas venu gâter ce peuple de France, comme vous dites : quelle race ! J’obtiens tous les concours : c’est l’union sacrée. Si la ville a un général, il est là ; l’inspecteur d’académie, le juge de paix, Monsieur le curé. C’est à voir !

Grandgoujon dit encore une fois :

— C’est très, très beau !

Mais l’autre reprit :

— Il y a huit jours, à Mont-de-Marsan… il restait à peine une chaise pour moi !

— Pour vous ? cria Grandgoujon qui avait pris un air lunaire et pensait, en s’échauffant : « Ce qu’il a une femme épatante, cet animal-là ! »

— Oui, Monsieur, reprit le mari, mais je parle debout ; et j’ai parlé trois heures sans lasser personne…