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GRANDGOUJON

Sur ce ton il poursuivit, se levant, s’asseyant, marchant. Il fit à Grandgoujon une conférence de plus. Puis il sortit des affiches, des comptes-rendus. Et il avait toujours des sourires, suivis d’évanouissements de regards.

— On sent, dit-il, que notre excellent peuple a besoin qu’on cause avec lui. Souvent, à la sortie, des femmes me pressent les mains.

— Prodigieux ! dit Grandgoujon. Et… de quoi leur parlez-vous ?

Il s’immobilisa, mystérieux :

— Je traite toutes les questions du jour, mais surtout je leur fais mieux voir leurs braves enfants, qui se sacrifient pour nous avec tant de joie !

Sur cette phrase, il secoua la tête ; et son lorgnon parut trembler d’émotion.

Grandgoujon, sincère, dit à la jeune femme :

— Madame, vous avez un mari formidable !

Alors l’autre, d’une bouche précieuse :

— Chère amie, si vous nous jouiez un de vos airs préférés ?

— Pourquoi diable est-ce qu’ils se disent vous ? pensa Grandgoujon.

Elle minauda :

— C’est que, Monsieur, en dessous, a dû bien souvent…

— Oh ! Madame, affirma Grandgoujon, vous me ferez un gros plaisir !

Tout de suite elle consentit, avec la bonne grâce heureuse d’une femme qui aime les compliments des hommes. Le mari et Grandgoujon s’assirent, souriant comme pour se remercier,