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GRANDGOUJON

— Il n’y est pas, Madame ! Il voulait me faire peur !

L’anémique Madame Creveau, touchée, dodelinait de la tête :

— C’est le meilleur des hommes. Même avec mon mari… et ce n’est pas que mon mari…

— Votre mari, insistait Madame Grandgoujon, mais au fond votre mari…

— C’est vrai, Madame, tout au fond…

Puis, ensemble, dans une crise d’attendrissement, elles jugeaient l’humanité sans malice. Et Madame Grandgoujon d’un tiroir sortit un album pour montrer à Madame Creveau son fils à deux ans, en chemise. ( « Il a déjà sa tête d’aujourd’hui, pas vrai ? » ) ; à onze ans, en premier communiant. ( « Il a fait une première communion exemplaire ! » ) ; à dix-sept ans avec sa première barbe, qu’il laissait pousser n’importe comment, pour voir. ( « À cet âge-là, Madame, ils ne savent pas, ils s’essayent » ).

Elle concluait avec ravissement :

— Toujours, sur toutes, il rit.

Et ces deux vieilles, à l’âme douce, tenaient en cette minute un peu du bonheur qui est épars dans le monde.

Mais après vingt minutes, Grandgoujon ne reparaissant pas, sa mère fut tremblante d’une autre inquiétude :

— S’il était en bas à faire de l’esclandre chez la concierge ?

Elle se coula jusqu’à l’escalier. Aucun bruit. Elle revint plus tranquille.