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GRANDGOUJON

l’un de la vouloir écouter, l’autre de la faire entendre. Et elle, avec aisance, s’installa devant le piano, — un piano bas qui la laissait voir. Ah ! elle n’était pas empruntée ! Quel naturel pour se poser dans sa jupe, la pincer aux genoux, et pour mettre le pied sur la pédale, pied nonchalant qui caressa sans s’imposer.

— Elle aussi est formidable ! se murmura Grandgoujon.

Dans une poussée de joie il fit craquer son siège. Et elle commença la Marche Turque — elle-même — la Marche Turque qui n’était pas prévue dans le bail de Grandgoujon, mais qu’il écouta dès les premières notes, de tout son cœur, avec du trouble et de la tendresse. Et comme ces sentiments convenaient à sa face bonne et large, il était redevenu soi-même, sans effort, admiratif et heureux.

— Ce Mozart ! Ah ! ce Mozart ! fit le mari d’une voix inexpressive, dès que la Marche Turque fut achevée.

— Oui… oui, comme vous dites.

Grandgoujon ne trouvait rien de plus précis ; mais s’avançant vers la jeune femme :

— Madame, vous avez une finesse !…

Et pendant ce temps, en dessous, sa mère qui, d’abord, s’était lamentée avec Madame Creveau :

— Que va-t-il faire ?… C’est le meilleur garçon, mais quand il s’emporte…

Sa mère, pacifique et douce, avait subitement retrouvé sa joie de vivre, lorsqu’elle aussi avait entendu la Marche Turque :