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GRANDGOUJON

ne comptait pas sur son fils pour déjeuner. Obsédée du souci constant d’alléger le travail de Mariette, elle avait, pour son compte, avalé n’importe quoi, sur un coin de table. Et voici qu’il rentrait à jeun. Elle n’eut donc pas le loisir de l’entendre : elle courut cuisiner. Mariette, qui déjeunait à son tour, fit simplement, sans bouger de sa chaise :

— Ceux du front aussi, ils aimeraient venir manger chez eux.

— Pauvre garçon ! reprit Madame Grandgoujon, cassant deux œufs sur un plat, il commence, mais il en a déjà vu de dures !

Elle rentra dans la salle à manger. Son fils, dans sa rage, avait dépecé un journal aux quatre coins de la pièce. Et il s’indignait seul :

— Enfin, pourquoi gueulent-ils au lieu de parler ?

De rage, il saisit la pendule à deux mains : il la souleva.

— Poulot ! cria sa mère.

Il la reposa violemment.

— Et pourquoi ne pas m’utiliser ? Il y avait des gens qui étaient militaires : ceux-là, faites-en des soldats ! Mais moi je suis avocat !

Il empoigna une chaise, la jeta contre la table, s’écroula dessus. Madame Grandgoujon l’embrassa :

— Le Bon Dieu te tirera de là, petit…

Cette phrase l’irrita davantage. Il brandit sa fourchette :

— Le Bon Dieu se fiche des casernes !