Page:Benjamin - Grandgoujon, 1919.djvu/84

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
86
GRANDGOUJON

D’ailleurs, si on ne me laisse pas manger chez moi…

— Et si on vous laisse, baron ?

Grandgoujon reprit, les yeux luisants :

— Quoi ? je peux me trotter ?

Quinze-Grammes très froid, dit avec nonchalance :

— Par les écuries, dans une demi-heure.

Alors, Grandgoujon :

— C’est que… il ne faudrait pas que j’attende… pour mon estomac.

Un quart d’heure après il était dehors, grâce aux ruses de Quinze-Grammes, ce descendant d’Ulysse. Sa joie d’abord fut telle, qu’il se mit à courir. Mais il avait roulé veston et pantalon civils dans un journal, qui creva. Il héla une voiture, s’effondra dedans avec ses habits, aussi mous que sa personne, et il arriva chez sa mère sens dessous dessus.

— Ah ! la ! la !

— Mon Dieu ! Quoi donc ?

— Jamais je n’ai vécu une matinée pareille… Tu ne te doutes pas, toi, dans ta maison, de ce que c’est que la guerre… même à l’intérieur !

Et le sang lui montait à la tête, et il commençait une colère.

Madame Grandgoujon était d’une grande bonté : elle le considérait de ses yeux bleus, candides. Comment le calmer ? Que répondre ? Les femmes, dès qu’il s’agit de caserne et de l’amertume qu’elle représente, sont malhabiles à la réplique ; elles ne savent ni ne comprennent. Puis, elle