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Page:Benjamin - Le Major Pipe et son père, 1918.djvu/124

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LE MAJOR PIPE ET SON PÈRE

lonisent et aiment avoir leurs aises, et, sans doute parce qu’ils sont poètes, ils se suffisent à eux-mêmes, et donnent, par là, l’impression d’être égoïstes. Mais seul, l’Anglais se croit avec un autre, et seul, il marche au pas, comme s’il réglait son allure sur un compagnon qu’il imagine.

Ensemble, ils ne gâchent ni leurs efforts, ni leur temps. Jamais on ne peut écrire qu’ils « grouillent », ni qu’ils « fourmillent » ; ils calculent, ils coordonnent leurs actes à travers le réseau compliqué de la vieille ville, parmi tout ce qu’on débarque au port, tout ce qu’on charge à la gare, sur les ponts, dans les places. Ils vont par petits groupes. Ce ne sont pas des gens menés, mais qui se mènent, ayant tous une pensée identique. Anglais de Londres, Anglais d’Écosse, Canadiens, Australiens, soldats du Cap, chapeaux, bonnets, bérets, casquettes, hommes culottés ou juponnés, tous ils sont en kaki et leur cervelle est de même obsédée pareillement. Ces Anglais contribuent à l’ordonnance générale et magnifique du monde. Ils vivent comme la terre tourne et comme le soleil chauffe.

Même blessés, ils n’ont pas l’air hagard. Leur raideur naturelle résiste à la souffrance : une blessure ne les énerve pas. Ils n’ont pas besoin